Une odeur de souffre et de poisson | Ft Fen' & Rossi.

J'étais réveillé depuis bien longtemps, lorsque je vis le soleil se lever à travers les parois de la tanière des guerriers. D'horribles cauchemars me hantaient chaque soir, si bien que je m'éveillais souvent en sueur, le coeur battant à tout rompre, en pleine nuit, ne pouvant pas me rendormir. Je demeurais alors là, las de ces mauvais rêves où je revivais tous ces souvenirs que je souhaitais oublier pour de bon. Je réfléchissais à une vengeance pour Patte Embrumée et ce qu'il avait fait subir à ma mère, je me demandais si je reverrais Furie des Ombres un jour, et si je devrais me battre obligatoirement contre elle. J'espérais que Patte Lumineuse, ma fille, était heureuse, serait heureuse avec son père. Le guerrier ardent qui avait frisé la folie, de par son terrible passé. Arriverais-je à être généreux, affectueux, avec elle? Je le devais. Pour Coeur d'écume. Pour qu'elle ne soit pas morte en vain. Mon coeur se serrait toujours à cette pensée, car je me rappelais que c'était ma faute si elle avait rejoint le Clan Céleste. Il fallait que j'arrive à me faire pardonner, que j'accepte mes erreurs passées pour me tourner vers un nouveau présent. Il le fallait. Même s'il n'avait plus foie en rien, il fallait qu'il essaye encore et encore, redevenir celui qu'il étant avant toutes ces catastrophes. Oublier le passer pour se concentrer sur le présent. Plus facile à dire qu'à faire.

Soudain, alors que j'étais plongé dans ces sombres pensées, comme à l'accoutumée, une patte me secoua doucement. Je reconnus l'odeur de Plume de Phénix, une guerrière de mon clan. Elle s'y prenait sûrement ainsi car elle pensait que j'étais encore endormi... Foutaises. Cela faisait plusieurs heures que j'étais bien réveillé. Je relevai donc ma tête d'un geste vif, avant de tourner mes prunelles rougeoyantes vers elle. Elle demeura silencieuse quelques instants, avant d'ouvrir la gueule pour me dire quelque chose. Je ne lui en laissai pas le temps, la devançant d'une voix étouffée par la fatigue et le chagrin, et de mauvaise humeur:

" Pas la peine de faire tant de manières, comme tu le vois, je suis réveillé, et ce, depuis bien longtemps... "

Sur ces paroles, je me levai avant de m'étirer maladroitement. Je titubai à moitié vers la sortie, sentant les regards de mon frère et de la guerrière sur moi. Je m'en fichais bien, ils pouvaient penser ce qu'ils voulaient de moi. Ce que je devenais, c'était juste mon problème. Et uniquement le mien. Une fois à l'extérieur, je balayai le camp de mon regard voilé. Les brumes sombres de mon esprit s'écartèrent lorsque je posai mes prunelles flamboyantes sur la pouponnière. J'esquissai un imperceptible sourire en coin, et me promis d'aller voir Patte Lumineuse... Dès que Plume de Phénix en aurait terminé avec moi. Je me retournai vers la tanière des guerriers, d'où sortaient justement ma camarade, suivie de Cri de Roussette, mon frère. Ce dernier me salua, et je lui rendis son sourire avec un hochement de tête complice. Il bifurqua ensuite vers un groupe de félins déjà éveillés, pour discuter avec eux, très certainement. Cri de Roussette était sociable, mais je ne le jalousais pas; je l'admirais.

Alors que je donnais quelques coups de langues hasardeux à ma fourrure grisâtre et en bataille, Plume de Phénix m'annonça que nous devions patrouiller sur la frontière entre notre clan, et le clan de l'eau. Je levai les yeux au ciel, interrompant ma brève et inutile toilette. Il était vrai que je me négligeais, depuis la mort de Coeur d'écume, et que je ne faisais pas vraiment d'efforts pour me sortir de ce désespoir dans lequel je m'étais enfermé. Mes deux seules sources de bonheur étaient Patte Lumineuse, et Cri de Roussette. C'était bien peu pour me sortir de tout cela. J'émis un long soupir; l'annonce même de cette patrouille m'exaspérait, mais c'était mon devoir de guerrier. De guerrier du clan du feu. Je jetai un dernier regard plein de regrets à la pouponnière, avant de suivre la guerrière sans un mot, sans une réponse, vers l'entrée du camp. Nous sortîmes donc en trottinant, moi derrière elle, jusqu'à la frontière. Je râlais régulièrement, vociférant pour moi-même, très mécontent de cette balade improvisée. Ce que je ne savais pas, c'était qu'elle allait être plus riche que les précédentes, ordinaires et sans grand intérêt.

Le trajet se déroula en silence, ne voulant pas parler avec ma camarade amicalement. Une légère brise soufflait sur le paysage désolé de notre territoire. Je sentais les cailloux couleur ocre sous mes coussinets, sans qu'ils ne les écorchent néanmoins. Les volcans endormis gisaient là, tels des géants millénaires. Les faibles rayons du soleil éclairaient à peine le panorama, et laissait de nombreuses ombres danser autour de nous. Je haïssais ces terres, combien même j'y était né. Les terres du clan de l'eau étaient tellement plus belles, plus... Généreuses. Je ne faisais même plus attention aux cris des chauve-souris qui trouvaient une place dans une grotte quelconque pour y dormir toute la journée. J'étais indifférent à la beauté du ciel matinal, qui se colorait de diverses couleurs pastelles. Plus rien n'avait de goût pour moi, et ce paysage désert le premier.

Nous arrivâmes enfin à la rivière qui bordait la frontière. Nous ralentîmes pour marcher côte-à-côté tranquillement, toujours sans un mot pour percer le calme. Puis, alors que nous progressions sur la berge, un frémissement se fit entendre. Je tournai mes oreilles vers la source du bruit, avant de me tourner moi-même. Je découvris alors Etoile des Neiges qui sortait d'un amas de roseaux, et qui se mit à scruter la rivière sans nous prêter attention. Un de ses guerrier, resté en retrait, l'accompagnait sûrement. La meneuse adverse semblait pêcher calmement. Je m'arrêtai alors, la couvant d'un regard nostalgique. Si seulement j'étais né dans le clan de l'eau... Si seulement elle avait été ma chef... L'odeur de poisson me rappelait les jours passés dans leur clan de l'époque. Je ne pouvais pas dire un mot, perdu dans mes pensées, le regard dans le vague mais rivé sur Etoile des Neiges. Aucune réflexion sanglante ne me venait à l'esprit, aucun sarcasme. Je voulais juste la voir pêcher...

Puis je me rappelai que Plume de Phénix, une guerrière de mon clan, était avec moi. Je me redressai, avant de regarder ailleurs. Que penserait-elle de moi, si je fixais ainsi la meneuse du clan de l'eau? Je voulais dissimuler mon envie de quitter mon clan pour celui de l'eau sous une loyauté sans faille. Il ne fallait pas que je sois nostalgique en regardant Etoile des Neiges, mais hostile. Oui, feindre l'hostilité... Les poils de mon échine se hérissèrent légèrement, mais je ne réussissais toujours pas à sortir une parole, que ce soit pour Plume de Phénix, ou Etoile des Neiges. J'attendais juste que l'une des deux dise quelque chose. Je faisais le piquet, immobile, entre les deux femelles fixant l'horizon.