Je m'étais endormie assez tôt ce soir là, épuisée par les différentes patrouilles diurnes auxquelles j'avais participé. Seulement, ce ne furent pas de jolis rêves qui hantèrent mon être, mais des millions de cauchemars, tous plus horribles les uns que les autres. Pourtant, je ne ressentais pas de mal-être particulier en ce moment, je me sentais relativement à l'aise, pour tout dire. Néanmoins, je ne pouvais stopper ce terrible flux de démons farceurs qui m'assaillaient durant mon sommeil. Ce fut donc en sursautant, et couverte de sueurs froides que je m'éveillai, retenant un cri d'effroi. Mon regard apeuré balaya la tanière d'un air terrifié, tandis que mon pauvre coeur de louve battait la chamade. Il me fallut quelques minutes pour m'apaiser correctement, recalant ma respiration sur celle de mes camarades lupins endormis. Je demeurais immobile quelques instants durant, me demandant à présent ce que j'allais faire. Sortir alors que le soleil ne pointait pas encore? Retourner avec ces songes chaotiques? Une chose était sûre, cependant; je n'arriverait pas à m'abandonner de nouveau dans les bras de Morphée. Je me levai donc en prenant soin de ne pas marcher sur les corps des autres loups, qui jonchaient le sol de l'antre.
La lueur blafarde de l'astre nocturne ne m'aveugla pas, et il ne me fallut que quelques secondes pour bien distinguer mon environnement, entourés par les ténèbres de la nuit. Mon museau se tourna vers le ciel. Dans la voûte éclairée par mille diamants régnait la lune, croissant auréolé d'un halo spectral. Un léger sourire se dessina sur mes babines; j'appréciais le calme serein de la nuit. Le camp désert était régit par un doux silence; les prédateurs dormaient. Je finis par m'ébrouer, chassant les dernières bribes de sommeil qui me collaient aux poils, et je me dirigeai en trottinant gaiement vers la sortie de la clairière. La forêt s'étendait tout autour de moi, recelant bien des mystères. Pourtant, je n'avais plus peur, mes cauchemars n'étaient plus que des lointains souvenirs. Je ne voulais pas spécialement chasser, je n'en ressentais ni l'envie, ni le besoin. En outre, j'étais seule; que pouvait attraper un loup lorsqu'il était seul? Un maigre campagnol? Je préférais mettre toute mon énergie dans de grosses parties de chasse, pour du gros gibier, qui nourrira toute la meute pendant plusieurs jours.
Je me baladais donc sans autre but que celui de me vider la tête, de réfléchir quelquefois. Cela faisait bientôt une lune que notre ancien Alpha avait rendu l'âme en combattant deux pumas, et que Foudre avait pris sa place. Frozen, quant à lui, s'était hissé au rang de Bêta, ce qui eut pour effet d'agrandir davantage son cercle d'admiratrices. Toutes les femelles voulaient être sa compagne, elles se battaient toutes pour l'avoir rien que pour elle... Je n'en faisais pas partie; m'attacher à un loup seulement d'après son physique, très peu pour moi. Car Frozen semblait tellement parfait en apparence que, selon moi, il ne pouvait en être de même pour son caractère. A force d'entendre des compliments à longueur de temps, il devait être un loup arrogant, très sûr de lui et pédant. J'étais trop intelligente pour me jeter ainsi dans une aventure sans lendemain. Il avait du charme, certes, mais qui savait ce qui se cachait derrière ce masque sans bavure?
Un bruissement attira soudain mon attention, et je me mis à avancer lentement, la tête basse, craignant d'avoir de la compagnie à cette heure tardive. Un petit mulot courut juste sous mon nez pour se réfugier dans son trou à rat. Je retins un soupir de soulagement, avant de relever brusquement mon museau, de nouveau détendue. Un autre froissement de feuilles se fit entendre à ma droite, et ce fut mes oreilles bien droites que je me tournai vers la source du bruit. Je reconnus le pelage gris clair du Bêta. Je priais pour qu'il ne m'ait pas vue, mais c'était peine perdue; il trottinait déjà vers moi avec sa grâce habituelle. J'aurais presque levé les yeux au ciel tant ces manières me semblaient futiles. Ses yeux glacés semblaient pétiller dans le noir, et j'eus un très léger mouvement de recul, étonnée. La voix chaleureuse du mâle résonna dans le silence nocturne:
" Salutations, que fais-tu ici aussi tard ? Tu n'étais pourtant pas assignée à la patrouille nocturne. "
" Salutations. Je suis comme toi; je n'ai pas besoin que l'on m'assigne à une patrouille pour me promener la nuit. " répondis-je le plus amicalement possible, mais néanmoins méfiante.
Car lui non plus, n'avais pas été choisi pour faire partie de la patrouille nocturne -enfin, il ne s'était pas choisi lui-même. Je n'avais donc pas d'explications à lui donner, selon moi.