Pourquoi ne puis je donc pas bouger ? [Feat: Foudre]

₪ Comme presque tous les après-midi, Foudre avait filé. C'était devenu une habitude: au camp, l'Oméga devait subir les railleries et les coups de patte de ses camarades. Alors, malgré sa patte folle, il marchait jusqu'à quitter son territoire et, le plus souvent, rodait aux abords des collines pour rentrer chez lui au crépuscule. Ironie du sort, il avait peur de rester sur son propre territoire par crainte de croiser Thunder ou autre loup malveillant. C'était comme s'il se sentait obligé de quitter ses terres, ce qu'il trouvait franchement peu glorieux. Il n'avait jamais imaginé que sa vie, aussi insignifiante soit-elle, finirait par prendre cette tournure. Lui, il voulait juste vivre tranquille, servir loyalement sa meute et rester en dehors des conflits pour le pouvoir ! Il n'avait jamais été ambitieux, et pourtant il s'était retrouvé Alpha sans vraiment le vouloir. Bon, il s'était certes rapidement habitué à son nouveau rang et avait prit goût au confort que procurait la place la plus haute de la hiérarchie -se servir en premier aux repas, avoir la tanière la plus confortable, pouvoir donner des ordres sans remuer soi-même une patte...- et il aurait du se douter que les ennuis finiraient par arriver. Il s'était montré trop naïf. Thunder, son frère, le loup le plus ambitieux de la meute, avait fait un coup d'état et s'était approprié la place d'Alpha, sans oublier de propulser Foudre au rang d'Oméga, le plus humiliant de la meute. Sans compter que, pendant leur duel, Foudre avait reçu une méchante blessure à la patte et cette dernière était désormais anormalement tordue vers l'extérieur, empêchant le loup au pelage gris de marcher normalement. Ce qui le condamnait à rester Oméga jusqu'à ce que sa patte se remette -si elle se remettait un jour...-. Vraiment, quel destin pitoyable !

Ce jour-là, comme tous les jours, l'Oméga s'apitoyait sur son sort. C'était devenu la routine. Il geignait, trouvait la vie injuste, et s'en aller se réfugier dans les collines pour le restant de la journée. Le soir, il rentrait pour le dîner, ou plutôt pour ramasser les maigres restes qu'avaient laissé les autres loups. En tant qu'Oméga, rang le plus bas de la meute, Foudre devait manger en dernier. Et, en cette saison de l'année, les loups affamés dévoraient avidement les maigres proies qu'ils avaient eu la chance de trouver: inutile de préciser qu'il n'y avait plus de restes. Pour ne pas mourir de faim, Foudre se nourrissait de plantes, mais son ventre criait constamment famine et il s'était considérablement amaigri.
Tout en ressassant les inconvénients de sa misérable vie, Foudre se surpris à repenser au lapin qu'Ash lui avait offert la dernière fois qu'il l'avait croisé. Le loup borgne avait sûrement eu pitié de l'Oméga pour lui offrir pareil repas. Un lapin entier ! Quel luxe ! Depuis qu'il était Oméga, Foudre n'avait presque jamais mangé à sa faim, alors un lapin... c'était presque un cadeau du ciel.

Après avoir rongé les maigres lambeaux de chair restant sur un os datant du repas de la veille, l'Oméga s'étira et se dressa sur ses pattes tremblantes. Il avait l'impression de faiblir à mesure que l'hiver s'installait; si cela continuait, il allait mourir de faim avant le retour du printemps. Il regarda avec envie et jalousie un jeune loup noir moucheté de gris qu'il connaissait bien: Sho, un partisan de Thunder. Foudre le haïssait. Il les haïssait tous... Le loup couleur fumée se portait à merveille, toujours bien nourri, le poil lustré. Il était facile de deviner qu'il occupait une place confortable au sein de la meute.
Foudre retint un grondement et baissa les yeux lorsque son regard croisa celui de Sho. Avant que ce dernier ne puisse s'avancer vers l'Oméga, Foudre se leva d'un bond et fila vers la sortie du camp en trottinant, queue et tête basses -signe de soumission obligatoire devant un supérieur... en l'occurrence devant toute la meute-.
Après avoir traversé discrètement ses terres en priant pour ne pas tomber sur un autre loup, Foudre traversa avec soulagement la lisière de la forêt et se retrouva à découvert, dans les terres vallonnées. Ici, nulle odeur de loup pour troubler sa tranquillité.
Alors qu'il avançait à petites foulées à travers les collines, un rat des champs passa juste devant son museau et, poussé par la faim, Foudre fit un effort surhumain pour se propulser en avant et atterrir pile sur le rongeur. En se réceptionnant, il eu tout juste le temps de tuer sa proie avant de s'écrouler au sol en se tordant de douleur. Sa patte blessée le lançait atrocement, comme chaque fois qu'il essayait de courir ou de sauter. Il savait à quoi s'attendre en essayant de bondir sur le rat des champs, mais il avait tellement faim qu'il avait tenté d'oublier sa douleur. Et à présent, il en payait le prix.
Haletant, il resta allongé sur le flanc durant quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits. Il se remit ensuite debout en prenant grand soin de ne pas s'appuyer sur sa mauvaise patte, puis claudiqua jusqu'à son rat des champs et l'avala d'un coup. Évidemment, il avait encore faim: un rat des champs, c'était bon à caler l'estomac d'un chat, mais il en faudrait dix pour caler celui d'un loup. Cependant, cette chair fraîche lui donna un regain d'énergie et l'Oméga repartit en boitant, la patte plus douloureuse que jamais.
Quelques minutes plus tard, alors qu'il s'asseyant en grimaçant de douleur, avec l'idée de faire une pause derrière un buisson afin de s'abriter de la brise froide, il perçu un bruit de pas. Bien trop lourd pour un chat, pas assez souple pour un puma. Il y avait un autre loup, juste là, derrière son buisson ! Foudre retint son souffle avec l'espoir de passer inaperçu, mais visiblement l'autre canidé l'avait déjà repéré.

— Qui est là ?

C'était une voix féminine. Le loup gris-brun passa la tête hors de sa cachette et jeta un oeil à la louve: seule une patte blanche se détachait au milieu d'une fourrure entièrement sombre; deux yeux bleus le fixaient, une balafre traversait l'un d'eux. Il ne la reconnut pas: cette louve n'était pas de sa meute.
L'Oméga poussa un bref grognement, indiquant clairement qu'il voulait qu'on le laisse tranquille et qu'il n'était pas d'humeur à bavarder.  ₪